Je suis particulièrement heureux de vous adresser ce message à l’occasion de la célébration de la solennité de saint Jean-Baptiste, Protecteur de votre Ordre religieux, qui porte son nom.
L’Église vous remercie pour tout le bien que vous faites là où l’amour est nécessaire, dans des situations parfois très difficiles. Elle vous remercie également pour l’engagement de renouveau que vous poursuivez depuis quelques années, pour une plus grande fidélité à l’Évangile, en étroite et cordiale collaboration avec le cardinal Patronus, que j’ai reconfirmé dans ses fonctions. Continuez dans cette voie !
On peut dire que saint Jean-Baptiste, dès avant sa naissance, a accompli la mission reçue de Dieu d’être un héraut de Jésus. Il l’a fait avec une austérité radicale tout au long de sa vie. Son idée du Messie, au début, était encore trop liée à celle d’un juge rigoureux (cf. Mt 3, 7-12). Jésus l’aide à changer de perspective, à se convertir, d’abord lorsqu’il se présente à lui pour demander le baptême, humblement mêlé à de nombreux pénitents (voir Mt 3, 13-17). Après cette manifestation, Jean désigne Jésus comme l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (voir Jn 1 , 29.36). Suite à son invitation, deux de ses disciples deviennent disciples de Jésus (voir Jn 1, 37). Et le Baptiste, en donnant sa vie pour affirmer la vérité, deviendra un témoin de Jésus, qui est la Vérité.
Saint Jean-Baptiste, votre protecteur céleste, doit illuminer votre vie et la mission que vous êtes appelés à accomplir dans l’Église par l’action de l’Esprit Saint.
Votre Ordre a pour but la tuitio fidei (protection de la foi) et l’ obsequium pauperum (le service aux pauvres). Deux aspects d’un même charisme : la foi propagée et protégée par un dévouement affectueux envers les pauvres, les marginalisés, tous ceux qui ont besoin du soutien et de l’aide d’autrui. Ne pas se limiter à répondre aux besoins des pauvres, mais leur annoncer l’amour de Dieu par la parole et le témoignage. Sans cela, l’Ordre perdrait son caractère religieux et se réduirait à une organisation à vocation philanthropique.
L’amour que chacun de nous doit offrir aux autres est celui qui se met à la hauteur de ceux qui le reçoivent, tout comme Jésus l’a fait, se mettant à notre hauteur, solidaire de ceux qui sont méprisés, de ceux dont la vie est ôtée parce qu’ils sont considérés comme sans valeur (cf. Luc 10, 29-37). Jésus peut donc recevoir une réponse d’amour de notre part, car, par cet abaissement, il nous communique son amour, que nous pouvons lui rendre avec gratitude. Il en va de même pour les pauvres. Si nous l’aimons en nous mettant à sa hauteur, l’amour que nous lui communiquons nous revient avec sa gratitude, faite non d’humiliation, mais de joie.
C’est le tuitio fidei , car en faisant cela, vous transmettez concrètement la foi dans l’amour de Dieu, en offrant l’expérience de sa proximité.
Pour protéger et préserver la foi, l’apôtre Paul nous montre comment nous équiper : revêtez l’armure de Dieu pour résister aux embûches du diable ; ceignez vos reins de la vérité ; revêtez la cuirasse de la justice ; saisissez le bouclier de la foi, avec lequel vous éteindrez les flèches enflammées du Malin ; prenez le casque du salut et l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu (voir Éph 6:11-18).
Certes, pour les nombreuses œuvres de bienfaisance louables que votre Ordre accomplit dans diverses parties du monde, vous avez besoin de nombreux moyens, notamment économiques, et de nombreuses médiations. Mais veillez toujours à ne considérer les moyens que comme tels, utiles à la réalisation du but.
Cependant, pour atteindre un objectif juste, les moyens doivent être bons ; mais dans ce domaine, la tentation peut facilement se présenter sous le couvert du bien, comme une illusion de pouvoir atteindre les objectifs justes que l’on se fixe avec des moyens qui pourraient ensuite se révéler non conformes à la volonté de Dieu. Jésus lui-même fut tenté en cela, lorsque le malin « lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire » ( Mt 4,8) et promit de les lui donner s’il l’adorait. Mais alors, Jésus ne serait plus le Serviteur de Dieu souffrant, qui, dans l’humilité, se dépouille de tout pouvoir terrestre pour conquérir, par amour, l’amour des hommes. Jésus réaffirme, même dans cette tentation particulièrement subtile, la suprématie de Dieu et ne se vend pas au pouvoir de ce monde. S’il avait consenti à la tentation, il aurait adopté des moyens illicites et n’aurait pas atteint le but fixé par le Père pour sa mission.
Au cours de son histoire, l’Ordre de Malte a adopté différents moyens selon les circonstances, qui doivent cependant être évalués en fonction de leur validité actuelle afin d’atteindre l’objectif de tuitio fidei et d’obsequium pauperum . Au fil des siècles, l’Ordre a acquis une importance toujours plus grande sur la scène internationale, un type de souveraineté très particulier, avec des prérogatives en ce domaine qui doivent nécessairement être fonctionnelles aux fins de tuitio fidei et d’obsequium pauperum . Si vous utilisiez ces prérogatives en vous laissant attirer par la mondanité, peut-être sans vous en rendre compte, précisément à cause de l’illusion qu’elle implique, vous courriez le risque d’agir en perdant de vue le but. Nous devons continuellement faire nôtre l’enseignement de Jésus, qui n’a pas demandé au Père de nous retirer du monde, car il nous y envoie, mais que nous ne sommes pas du monde comme lui n’est pas du monde ; et il a demandé au Père de nous protéger du malin (cf. Jn 17, 14-16.18).
L’Esprit révèle les tromperies du malin, nous sommes donc appelés à discerner continuellement si c’est l’Esprit ou le malin ou en tout cas notre propre intérêt qui nous guide.
Vous êtes engagés dans un chemin de renouveau. Ce renouveau ne peut être simplement institutionnel, normatif : il doit d’abord être intérieur, spirituel, car c’est lui qui donne sens aux changements de règles. Vous avez renouvelé votre propre droit, la Charte constitutionnelle et le Code de Melitense. C’était nécessaire, car plusieurs points devaient être clarifiés, notamment la nature d’un Ordre religieux, donné et garanti par les membres de la Première Classe, mais dont la force charismatique est également partagée par les Deuxième et Troisième Classes, avec une progressivité différente.
Vous avez également achevé le travail de « Commentaire » sur les deux textes normatifs. Un travail plus utile que jamais pour faciliter, outre la compréhension littérale des normes, celle de leur fondement spirituel et théologique, d’une importance primordiale pour une interprétation et une application correctes dans l’Esprit. Certes, le chemin de renouveau n’est pas terminé ; il est même toujours à son début, car il exige la conversion du cœur, un travail de toute une vie pour chacun de nous. Nous savons combien la conversion du cœur est épuisante. Les membres de la Première Classe, en particulier, sont appelés à s’engager en ce sens pour surmonter toute tentation de sécularisation, c’est-à-dire d’une vie non animée par la radicalité évangélique propre à un Ordre religieux. Si la Première Classe ne mène pas à bien ce chemin de conversion, qui, bien que difficile et exigeant, est soutenu par la grâce de l’Esprit du Ressuscité, on ne peut espérer que les Deuxième et Troisième Classes le parachèvent, selon leur condition.
La conversion, cependant, est toujours encouragée par une expérience significative qui touche nos cœurs. Votre action en faveur des Seigneurs Malades, comme vous aimez à le dire, et des pauvres de toute sorte, méritants devant Dieu et devant les hommes, est ce qui soutient votre conversion. L’action caritative et apostolique est le fruit et la manifestation d’une spiritualité, celle qui vous a été transmise dès le début par le bienheureux Gérard et que vous êtes appelés à incarner dans le monde d’aujourd’hui avec une authenticité évangélique toujours plus grande, fruit d’une purification continue.
C’est avec une grande joie que j’ai appris que des aspirants ont demandé à faire l’expérience du noviciat et d’un noviciat résidentiel, une nouveauté après une si longue période de dissolution de la vie communautaire. C’est un motif d’espoir, mais aussi un défi pour tout l’Ordre, et en particulier pour les formateurs. La formation est un aspect fondamental pour tous les instituts de vie consacrée et elle est particulièrement exigeante en raison de la complexité de l’expérience des candidats à l’heure actuelle. Cela exige plus que jamais une formation spécifique des formateurs, sans laquelle le travail de formation resterait approximatif et inefficace, comme ce serait le cas si son processus et son contenu n’étaient pas bien définis. La formation ne concerne pas seulement la première classe, mais aussi, de différentes manières, les deuxième et troisième classes. Elle doit avoir pour objectif, comme élément fondamental, la prière : liturgique et personnelle, nourrie de solitude et de silence, dimensions nécessaires à mesure que l’on se consacre à l’activité de service aux autres, afin que celle-ci soit un témoignage de l’amour de Dieu qui se rend présent.
De même, c’est un motif de grande espérance que certains membres profès souhaitent entreprendre une expérience de vie communautaire. J’encourage vivement ce désir, car la vie communautaire forge concrètement la charité mutuelle et l’observance authentique des trois conseils évangéliques. Même si cette intention rencontre des difficultés dans sa réalisation, elles peuvent être surmontées avec l’aide de l’Esprit, grâce à qui l’espérance ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5).
Que la Vierge de Philerme, saint Jean-Baptiste et le bienheureux Gérard intercèdent pour la réalisation de tous vos sentiments et désirs les plus nobles, tandis que je vous envoie de grand cœur la Bénédiction apostolique, que j’étends à vos proches et à tous ceux que vous rencontrez dans votre service.
Du Vatican, le 24 juin 2025
LÉON PP. XIV